territoires instables

Au début, je pensais que je n’étais qu’une tête.
Puis des mains sont apparues, et avec elles de la peau.

Petit à petit, je suis devenu un corps, pensant et agissant, mais encore, ce n’était pas assez.


Il m’a fallu habiter un espace, d’ abord, comme un trou sous la roche (l’énergie venait de là), puis une grotte, un terrier, une bauge, presque un nid.

Mais je n’étais encore qu’un trou, agissant, pensant peut-être, mais un trou. Plus je m’explorais, à tâtons, avec les mains, plus m’apparaissaient les parois et apparaissaient avec elles des reliefs, des motifs, des formes comme des ombres, alors je suis devenu une coquille : ma peau se confondait avec la paroi et je me promenais emmenant avec moi mes limites.

Je ramassais des choses. Des choses qui prenaient forme, des choses qui petit à petit venaient se coller aux parois, en soutenaient les murs, en démarquaient les entrées, s’intégraient à ma peau.

Cet amas, il a bien fallu l’appeler, alors j’ai dit maison, mais ce n’était pas encore ça. Les parois se sont fait murs, et je découvrais les pièces au fur et à mesure que je ressentais le besoin de leur usage. Chambre, cave, cuisine, atelier, grenier, toilettes : parce que mon corps avait des besoins, de plus en plus de besoins.

Il m’a fallu sortir, j’avais besoin d’air, je me suis mis -ébloui d’abord- à arpenter le dehors. J’ai mis ma maison sur mon dos.

J’ai parcouru le territoire que parcourait ma peau, je me suis mis à me marcher dessus, j’ai dit, après m’être parcouru, je suis un territoire.

Avec le territoire, je n’avais que mes pieds pour le parcourir et ma langue pour le dire, pas encore de yeux pour le voir.

La volonté et le désir se sont mis à habiter cet endroit, à le sculpter. Alors j’ai dit paysage, j’ai dit vent.

J’étais ma carte et son territoire et aussi quelque chose d’autre comme l’ombre même du territoire, son revers, mais je ne saurais pas bien le définir. Je me suis mis à délimiter ce territoire qui prenait corps. Maintenant, on pouvait regarder dedans longtemps, mais ce n’était pas encore ça, on pouvait s’y perdre.
 
Il avait ses vallées, ses rivières, ses criques, il m’a fallu le peupler, alors des choses sont venues :
des hommes, de plantes, des animaux, et tout ce qui pouvait suivre leur cortège : des mythes et des jeux, des langues, des danses et des silences. Des villes et des pierres


Des météores traversaient le ciel, et le peuple qui peuplait ma peau vivait et dormait. Dans leurs rêves, ils imaginaient explorer de nouveaux mondes et au réveil se racontaient les mythes que se racontaient les habitants des contrées de leurs rêves. Ils exploraient des continents neufs et fondaient des pays inexistants dont l’acte de fondation était l’enterrement d’un poème en même temps que l’embrasement du drapeau du pays.


En ce temps-là, j’habitais ma tête et le temps était encore incertain, peut-être allait-il pleuvoir aujourd’hui.